LE NOUVEAU STATUT DE L'ENTREPRENEUR INDIVIDUEL
Auteur : Frédéric MOUSTROU - avocat à Périgueux
Publié le :
13/11/2023
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⇒ La loi n° 2022-172 du 14 février 2022, en faveur de l'activité professionnelle indépendante, offre, à compter du 15 mai 2022, à l'entrepreneur individuel (EI) un statut impératif et unique en le dotant d'un patrimoine professionnel distinct de son patrimoine personnel.
L'entrepreneur individuel est défini comme étant « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes » (article L. 526-22 du Code de commerce).
Les activités, exercées à titre professionnel et indépendant, peuvent être de toutes sortes : commerciales, artisanales, libérales ou agricoles.
Plusieurs activités peuvent être exercées simultanément par un même entrepreneur sans pour autant donner naissance à plusieurs patrimoines professionnels : celui-ci est unique et ne peut en principe être scindé en plusieurs universalités (C. com., art. L. 526-22, al. 2).
Un créancier pourra contester la qualité d'entrepreneur individuel de son débiteur en démontrant la fictivité de son activité ou sa subordination, en vue de le priver de la protection patrimoniale attachée à ce statut.
⇒ La réforme concerne toutes les créations d'entreprises à compter du 15.05.2022.
Pour les entreprises déjà créées avant cette date, la dissociation des patrimoines ne s'appliquera qu'aux nouvelles créances.
La séparation des patrimoines s'effectuera automatiquement, sans démarche administrative ou information des créanciers.
Le périmètre du patrimoine professionnel n'étant pas dépendant d'une quelconque mesure de publicité, l'EI doit informer les tiers cocontractants du statut dont il relève.
L'EI doit mentionner sur ses papiers d'affaires, comme pour toute personne immatriculée au RCS, sa qualité d'entrepreneur individuel (C. com., art. R. 123-237, 9; C. com., art. R. 526-27; C. com., art. R. 134-12, al. 3).
Concernant les EI qui ne sont pas tenus de s'immatriculer à un registre professionnel pour exercer leur activité, la création du patrimoine professionnel court à compter du premier acte exercé en qualité d'entrepreneur individuel, « cette qualité devant apparaître sur les documents et les correspondances à usage professionnel » (C. com., art. L. 526-23, al. 3).
La première utilisation de la dénomination vaut date déclarée de début d'activité pour identifier le premier acte exercé en qualité d'EI (C. com., art. R. 526-27, al. 4).
⇒ La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 a pour objet de circonscrire le gage des créanciers professionnels au patrimoine professionnel, en transposant le régime applicable à l’EIRL dont la disparition est organisée, avec cette différence que la constitution de ce patrimoine d’affectation est désormais automatique.
Ce nouveau statut vise à permettre que le patrimoine personnel de l'EI devienne par défaut insaisissable par les créanciers professionnels, alors qu'aujourd'hui seule la résidence principale est protégée.
Seuls les éléments nécessaires à l'activité professionnelle de l'EI pourront à l'avenir être saisis en cas de défaillance professionnelle.
La division du patrimoine de l'entrepreneur a pour objet de répartir le gage de ses créanciers selon l'origine de leurs droits.
L'entrepreneur individuel n'est tenu de remplir son engagement à l'égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de son exercice professionnel, du chef de créances nées à compter du 15.05.2022, que sur son seul patrimoine professionnel (C. com. art. L 526-22, al. 4).
Ces créanciers, titulaires d'un droit de gage général sur le patrimoine professionnel de l'entrepreneur, ne peuvent donc poursuivre le paiement de leur créance que sur les biens saisissables appartenant à ce patrimoine (C. exécution L 161-1, al. 1).
En revanche, pour toute dette contractée pour les besoins de l'entreprise avant l'entrée en vigueur du nouveau dispositif, l'EI reste tenu sur tous ses biens, présents et à venir, sur lesquels les créanciers ont un droit de gage général (C. civ. art. 2284).
⇒ La consistance du patrimoine professionnel ne résulte pas d'une déclaration ou d'un état descriptif, mais du seul critère de l'utilité du bien (droit, obligation ou sûreté) à l'activité ou aux activités professionnelles de l'EI (C. com., art. L. 526-22).
Il est constitué des éléments « utiles » à l'activité professionnelle.
» Suivant décret du 28 avril 2022, le périmètre du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel a été défini.
Le décret complète la définition légale en indiquant que le patrimoine professionnel est composé des biens « qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité » (C. com., art. R. 526-26, I).
Sont mentionnés « le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole », mais aussi « tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d'un professionnel libéral ».
» Lorsque l'EI doit tenir une comptabilité, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l'ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, « sous réserve qu'ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise ».
Les documents comptables permettent l'identification de la rémunération tirée de l'activité professionnelle indépendante qui elle est comprise dans le patrimoine personnel de l'EI (C. com., art. R. 526-26, II).
» Font partie du patrimoine professionnel les immeubles servant à l'activité « y compris la partie de la résidence principale de l'entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ».
Conformément à la règle qui prévaut pour l'insaisissabilité de la résidence principale, en cas d'usage mixte, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire (C. com., art. L. 526-1, al. 1er).
» Le sort des autres biens à usage mixte (véhicule utilisé à titre personnel et professionnel, par exemple) n’est pas spécifié.
Ils feront vraisemblablement partie du patrimoine professionnel dès lors qu’ils servent, même occasionnellement, à l’activité de l’entrepreneur individuel.
» Le décret indique que, lorsque l'immeuble servant à l'activité est détenu par une société dont l'EI est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l'EI, les actions ou parts d'une telle société font partie du patrimoine professionnel.
Le montage consistant pour l’entrepreneur individuel à créer une SCI afin de préserver l’immeuble des aléas de l’exploitation apparaît fragilisé.
» S’agissant de la trésorerie de l'EI (fonds de caisse, numéraire, solde de comptes bancaires dédiés à l'activité, « les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité »), elle constitue un élément de son patrimoine professionnel.
Chaque compte bancaire ouvert par l’entrepreneur individuel et dédié à son activité professionnelle doit contenir la dénomination “entrepreneur individuel” ou des initiales “EI” dans son intitulé (C. com. art. R 526-27, al. 3 nouveau).
» La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 a évoqué la problématique des biens communs, prévoyant que les dispositions relatives à la scission du patrimoine de l’entrepreneur individuel s’entendent sans préjudice des pouvoirs reconnus aux époux pour administrer leurs biens communs et en disposer (C. com. art. L 526-26).
Il semble que le gage des créanciers du conjoint de l'entrepreneur continue à porter sur l'ensemble des biens communs, utiles ou non à l'activité de l’EI, conformément à l’article 1413 du Code civil.
Le gage des créanciers professionnels de l'EI porte sur les biens communs utiles à son activité.
» Le critère de l'utilité devrait faire obstacle au maintien dans le patrimoine professionnel des éléments n'ayant plus de vocation professionnelle.
Il devrait, en outre, limiter le mécanisme de la subrogation réelle aux seuls éléments « utiles ».
» Dans la mesure où il n’est pas précisé si le « bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos » (article L. 526-22 du Code de commerce) est inclus dans le patrimoine professionnel de l’EI, il convient d’appliquer le critère de l'utilité à la poursuite de l'activité.
Le seul fait que ces sommes figurent sur un compte professionnel de l'entrepreneur ne semble suffire à leur conférer un caractère utile.
L'utilité ou l'inutilité d'un actif à l'activité de l'entrepreneur est un fait dont la preuve doit pouvoir être rapportée par tout moyen.
Si la comptabilité de l'entrepreneur peut jouer un rôle probatoire, elle ne vaut qu'à titre de présomption.
Par ailleurs, un bien utile à l'activité d'un entrepreneur peut ne pas figurer à l'actif de son bilan ou, à l'inverse un bien inutile peut y figurer.
» Le patrimoine professionnel de l’EI est également composé des dettes et obligations utiles à son activité.
» Le patrimoine professionnel peut faire l'objet d'un « transfert de propriété » (C. com., art. L. 526-27, al. 5), par sa vente, son apport en société et sa donation.
Il s'opère alors un « transfert universel du patrimoine professionnel » (TUPP), portant sur l'ensemble de ses éléments actifs et passifs.
Lorsque l'entrepreneur individuel s'est engagé contractuellement à ne pas céder ou à ne pas transférer à titre universel un élément de son patrimoine professionnel, l'inexécution de cette obligation n'entraîne pas la nullité du transfert universel mais engage la responsabilité du cédant sur l'ensemble de ses biens (C. com., art. L. 526-27, al. 4).
Les créanciers qui craignent de ne pas être désintéressés lors d’une telle cession peuvent former opposition, suivant des conditions définies par décret.
Si cette opposition est validée, il pourra être judiciairement ordonné au cédant de rembourser la dette avec l'ensemble de ses biens sous réserve de ceux insaisissables en application de l'article L. 526-1 du Code de commerce.
Le tribunal pourra aussi ordonner la constitution de garanties dans le cas où le bénéficiaire de la transmission est en mesure d'en offrir et qu'elles soient jugées suffisantes (C. com., art. L. 526-28).
» Le patrimoine personnel de l'entrepreneur est quant à lui défini par défaut ou négativement puisqu'il se compose des « éléments [...] non compris dans le patrimoine professionnel ».
⇒ Le patrimoine professionnel ne peut être scindé sous réserve des règles relatives aux procédures collectives.
Il n’existe qu’un seul patrimoine professionnel qui répond de toutes les dettes professionnelles.
Les éléments non compris dans le patrimoine professionnel constituent le patrimoine personnel de l’EI (C. com. art. L 526-22, al. 2).
» Lorsque le patrimoine personnel est insuffisant, les créanciers personnels peuvent exercer leur droit de gage sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos.
» La distinction des patrimoines personnel et professionnel de l'entrepreneur individuel ne l'autorise pas à se porter caution en garantie d'une dette dont il est débiteur principal (C. com. art. L 526-22, al. 3 et 4).
Il semble qu’il ne puisse davantage s’engager dans la cadre d’une lettre d'intention ou d’une garantie autonome.
L'interdiction de l'auto-cautionnement ne prive pas, notamment, le conjoint de l'entrepreneur de cautionner les dettes professionnelles de l’EI.
Un entrepreneur individuel peut cautionner un autre entrepreneur individuel, notamment son conjoint.
» L'entrepreneur individuel peut consentir au profit d'un créancier du patrimoine professionnel une sûreté conventionnelle sur un élément de son patrimoine personnel, conformément à l'article L. 526-22 alinéa 4 du Code de commerce.
» L'entrepreneur individuel peut également renoncer à la séparation des patrimoines personnel et professionnel sous réserve de respecter un formalisme strict (C. com., art. L. 526-25), soit, à peine de nullité, sur demande écrite, pour un engagement spécifique dont le créancier doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable.
La renonciation ne peut intervenir avant l'échéance d'un délai de réflexion de 7 jours francs à compter de la réception de la demande de renonciation.
Ce délai est réduit à 3 jours francs si l'entrepreneur individuel fait précéder sa signature de la mention manuscrite énoncée par décret et uniquement de celle-ci (C. com. art. L 526-25).
En cas de renonciation, le créancier professionnel bénéficiaire peut engager une procédure civile d'exécution sur tous les biens saisissables de l'entrepreneur, utiles ou non à son activité professionnelle.
Cette renonciation n’autorisera pas la saisie de la résidence principale.
» Dans le cas où l’entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.
Par conséquent, les créanciers antérieurs recouvrent normalement un droit de gage général sur l’ensemble de ses biens.
Il en est de même en cas de décès de l'entrepreneur individuel (C. com., art. L. 526-22).
Si l'un des héritiers reprend l'activité du défunt, un nouveau patrimoine professionnel se créera.
⇒ Si la situation financière de l’entrepreneur individuel justifie l’ouverture d’une procédure collective ainsi que d’une procédure de surendettement, la procédure collective va porter sur tous les biens et droits de l’EI, entraînant la soumission à la procédure collective de tous ses créanciers.
En revanche, il y aura ouverture d’une procédure collective et saisine de la commission de surendettement si les 2 conditions cumulatives suivantes sont réunies : « Lorsque la distinction des patrimoines professionnel et personnel a été strictement respectée et que le droit de gage des créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de l'activité professionnelle de l'entrepreneur individuel ne porte pas sur le patrimoine personnel de ce dernier » (C. com., art. L. 681-2, IV).
Dans ce cas, la première procédure portera sur le patrimoine professionnel, et la seconde, devant la commission de surendettement saisie par le Tribunal sur accord de l'entrepreneur individuel, concernera son patrimoine personnel.
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